Le 28 octobre 1492, Rodrigo de JERES et Luis de LA TORRE, compagnons de Christophe COLOMB, furent les premiers à mettre pied sur l’Ile de CUBA. Leur étonnement fut grand de voir les indigènes porter aux narines des cylindres curieux, aspirer et rejeter de la fumée. L’Occident découvrait Le Tabac.
En 1560, Jean Nicot présenta à Catherine de Médicis l’Herbe de l’Ile de TABAGO, la Nicomiane, que l’on appela aussitôt Herbe à la Reine, puis Herbe de Thévet, Herbe du Grand Prieur, Herbe Angoumoisine, Petun avant de devenir le Tabac. Son succès fut si grand que l’on fumait même à l’église pendant la messe, et en 1621, le Pape URBAIN VIII excommunia les fumeurs, déclarant le tabac » Substance aussi dégradante pour l’âme que pour le corps « .
Si les moines n’avaient pas fait fi de cette condamnation, nous n’aurions sans doute jamais connu la pipe. En effet, pendant la somnolence des offices, il arrivait qu’un moine laissât tomber son cigare sur sa robe de bure et se brûlât, ils imaginèrent donc de faire fabriquer par leurs fournisseurs de crucifix et de chapelets, des pipes en bois pareilles aux pipes en terre que des soldats espagnols commençaient à fumer. Et comme les fabricants utilisaient le buis ou le merisier pour tailler les crucifix, les mêmes bois servirent pour les pipes. Certains ont vu dans l’acte de fumer, un rite propitiatoire : « le fumeur approche de ses lèvres le feu, ce feu qui du fond des âges fut le grand souci et la grande terreur de l’Homme : n’y a-t’il pas là un inconscient rappel des risques bravés ? Dans cette action de détruire une matière par combustion ne retrouve-t-on pas une réminiscence des sacrifices antiques ? L’offrande d’une fumée aromatique montant telle celle de l’encens ? Elle rappelle encore que l’être ayant assuré ses besoins, ressent l’envie de gaspiller, de consumer, sorte de don qui est une forme sacrificatoire de la vie moderne…
…Avec des motifs d’une telle élévation de pensée, la pipe ne pouvait pas éternellement rester à l’état primaire du brûlot et dès le XVIIe siècle nous la voyons adopter toutes les formes possibles.
Pour nous guider dans les méandres de la pipe, rien ne vaut une visite à la Bibliothèque de GRASSE à laquelle la Baronne Alice de ROTHSCHILD a légué une collection patiemment amassée. Nous y voyons, entre autres, un ensemble de » Pipes Allemandes » du XVIIIe siècle, dont une pipe au fourneau formé par une sirène tenant une hotte sur son dos avec un tuyau sculpté d’un rhinocéros et d’un dragon ; une pipe au fourneau de porcelaine représentant un chien faisant le beau porté sur une main, la tête formant le couvercle, avec monture en argent ; une pipe au fourneau tête de nègre en bois noir, avec un ruban en nacre et argent ; deux pipes en porcelaine de saxe, représentant l’une une tête d’homme tonsuré, l’autre une tête d’homme coiffé d’une étoffe blanche mouchetée de couleur avec un couvercle en argent ; une pipe en porcelaine de Frankenthal au fourneau en forme de tête d’homme à la coiffure ornée d’un aigle prussien.
D ‘Angleterre vient une pipe en faïence du Staffordshire, le fourneau sortant de la tête d’un dragon ailé dont le corps est lové enforme de Bretzel. D’Italie, une pipe en verre de Murano incolore ornée d’un coq aux ailes déployées, et de Suisse une pipe au fourneau en Bois clair en forme de tête grotesque soutenue par une main et coiffée de deux singes avec un lion ornant l’entrée du fourneau. Le clou de la collection est une pipe Française d’époque Louis XVI, au fourneau en buis représentant un jockey colorié montant un cheval cambré qui laisse filtrer la fumée par les naseaux. Le tuyau sort d’un tronc d’arbre auquel est adossé le cheval.
Toutes les matières peuvent servir à la fabrication des pipes, on en a vu en BUIS, en MERISIER, en CERISIER, en BOIS de ROSE, en BAMBOU et en MAIS comme celle que fumait le Général MacArthur, en AMBRE, en ECUME DE MER, en ARGENT, en CORNE et même en VERRE. Les hollandais avaient une prédilection pour les pipes en TERRE, les anglais pour les pipes en PORCELAINE du Staffordshire, de Swansea, d’ Old Chelsea et de Worcester. Les Allemands faisaient faire les leurs par les faîenceries de Saxe, et de Frankenthal, de Ludwigslust et de Nuremberg .
D’ autres lalitudes viennent le Narguilé, la pipe Caucasienne à deux fourneaux à laquelle répond la pipe d’Afrique à deux tuyaux, le Calumet Indien, la Pipe à Hachisch du Moyen-Orient et les pipes à Opium du Tibet, de Chine et du Japon.
Quelques collectionneurs préfèrent se limiter à la pipe Française du XIXe siècle et du début du XXe. Citons parmi les plus connues les Kumer, les Gambier, et les Jacob, au fourneau en terre blanche, en forme de Tête de Turco qui devient noire lorsque la pipe est culottée.
La pipe est entrée depuis bien longtemps dans les Arts et la Littérature, ce qui a incité des collectionneurs à présenter leurs pipes sur un râtelier orné de reproductions (à défaut des originaux) des scènes de fumeurs de pipes des primitifs Flamands ou des tableaux cubistes dans lesquels la pipe est souvent représentée comme le célèbre : » Bol et Livre à la Pipe de Juan GRIS. « . On peut aussi poser telle marque de pipe sur un livre d’un auteur qui l’aimait. Ainsi nous savons que VERLAINE tenait à sa Gambien à Tête de coq, autant qu’à son absinthe, MALLARME, la préférait courte et en bruyère, et si Françis JAMMES ne la supportait qu’en bois avec un bout d’ambre, Alphonse KARR, a toujours été fidèle à la KUMMER. Quant à Léo MALET, sa Tête de taureau évoque les gardiens cornus du palais de Sargon à Khorsabad.
Une belle collection peut atteindre un prix élevé, mais c’est plus du plaisir du Petun, qu’à la valeur marchande que faisait allusion le moribond dessiné par GAVARNI, disant à un ami : » Je te laisse ma femme et ma pipe… Surtout prends bien garde à ma pipe « .
Le musée Français du Tabac, se trouve dans le vieux Bergerac, dans la maison PEYRAREDE, et il possède une collection de pipes très exceptionnelle, probablement unique au monde.
(Sources: Michel BOURLAND, Flammes et fumées, revue éditée par la Seita Paris.Musée du Tabac de Bergerac.Bibliothèque de Grasse.)