Mais à quoi servent-elles donc ces ravissantes petites boites métalliques, richement décorées et exposées parmi les objets de vitrine ? boite à poudre ? à pilules ? pyrogènes ? Rien de tout ça ! ce sont des boites porte-louis.
Depuis le Moyen Age, et jusqu’ au milieu du 19è siècle, les deniers, les écus, puis les premiers francs et centimes, étaient transportés dans des bougettes, des bourses, des aumônières ou de petits porte-monnaie de cuir, souvent attachés à la ceinture.
Lorsque dans la seconde moitié du 19è siècle le second empire procéda à la mise en circulation de plus de deux cent millions de pièces d’or de 20 francs frappées à l’effigie de Louis Napoléon III, il fallut bien créer un système sûr et pratique de rangement et de transport individuel de ces précieuses monnaies. Les artisans imaginèrent la fabrication d’une sorte de boite porte-monnaie, qui prit le nom de boite à pièces, puis porte-or, et se transformât bien vite en porte-Louis, prénom de l’Empereur, mais aussi rappel du premier Louis d’or créé à la fin du règne de Louis XIII en 1641.
Les tubes : Les premières créations de porte-louis furent d’abord de simples tubes de cuivre ou de laiton, d’une contenance de 25 ou 50 pièces, munis d’un couvercle sans aucune inscription. L’objet était inventé, mais il fallait le rendre à la fois pratique et élégant. Les tubes, toujours en laiton, recouverts de cuir ou de galuchat (peau de raie ou de requin) de toutes teintes se multiplièrent. Sur le couvercle figuraient immanquablement en lettres d’or ou d’argent deux chiffres superposés, la valeur faciale et le montant de la somme pouvant y être inséré.
Des tubes semblables pour 50 et 100 pièces de 10 francs en or furent également fabriqués en grande quantité, ceux réalisés pour les pièces de 5 francs, 50 francs et 100 francs ne connurent que peu de succès et sont donc difficiles à trouver. L’ usage du porte-louis fut très amélioré avec l’apparition du » distributeur » qui fut dans un premier temps attribué au tube.
C’est un système muni d’un ressort, permettant par une légère pression du doigt, la sortie des pièces à l’unité. Cet ingénieux système n’a pas un nom spécifique en Français, les Anglais l’appellent » push-coin ». Les fabricants immaginèrent ensuite de nombreux modèles de tubes perfectionnés, parfois fantaisistes; celui-ci en laiton massif, cerclé sur toute sa longueur, servait de frottoir pour allumettes, celui-là très astucieux faisait figurer sur le tube une échelle graduée en francs, permettant la lecture instantanée du montant présent dans le porte-louis, cet autre avait soudé tête-bêche deux porte-pièces de 10 et 20 francs avec distributeur, qu’il suffisait de faire pivoter pour obtenir l’une ou l’autre valeur. Un autre avait muni le fond du tube, préalablement découpé, d’un piston en laiton qu’il fallait pousser pour libérer les pièces à l’autre extrémité.
Les femmes ne furent pas oubliées, ainsi ce magnifique tube en acier bruni comprenant un flacon à parfum, un distributeur de 20 louis, un poudrier et son miroir dont le couvercle était orné d’une couronne de perles fines. L’objet était à la mode, alors les ébénistes façonnèrent à leur tour de jolis tubes en buis, en merisier ou en teck, soigneusement polis avec leur couvercle sur lequel là aussi on pouvait lire la contenance en lettres dorées. A la même époque on pouvait se procurer pour 0,75 francs, au magasin » Au bon marché » de remarquables porte-louis de 25 pièces. Ils étaient recouverts d’une fine feuille d’acajou ou de noyer, verni et collé, avec un couvercle de métal vissé.
Les particuliers aisés ou fortunés, les marchands et les banquiers avaient aussi fait fabriquer de très belles boites de cuir et de métal, pour servir de receptacle et de rangement à 10 et même 20 tubes de louis de 20 francs. On pouvait ainsi transporter avec soi 20 à 30.000 francs or. Ces écrins sont très rares et très difficiles à dénicher.
Les Boitiers: De leur coté, les horlogers transformèrent les montres irréparables en porte-louis, tout en conservant le boîtier et quelques fois le cadran et les aiguilles. Les hommes portaient cette montre leurre au gousset, retenue par une chaînette à la boutonnière du gilet. Les maroquiniers adaptèrent la fabrication des petits porte monnaie traditionnels en cuir en fixant à l’intérieur un plateau nickelé supportant deux distributeurs de cinq pièces. Ce même plateau à deux distributeurs, on le retrouvera inséré dans des petites boites de métal chromé, munies d’un couvercle à charnière, l’ouverture étant commandée par un bouton à pression. Une bélière fixée au niveau du bouton d’ouverture permettait le passage d’une chaînette. Ce modèle très simple sera souvent utilisé comme un support publicitaire.
Ces petites boites plurent tout de suite.
C’ est en s’en inspirant que les bijoutiers et orfèvres débordèrent d’imagination pour créer de nouveaux boîtiers en métal argenté, en argent et même en or. A leurs étalages les chalands pouvaient admirer un choix considérable de porte-louis sous les formes et les décorations les plus variées. Les plus petits, munis d’un seul distributeur, unis, alvéolés, martelés et décorés de mille manières avaient la faveur des dames. Elles le portaient autour du cou, aussi certaines gravures seront de véritables petites œuvres d’art. Un modèle toujours pour dame, mais plus important était destiné au sac à main. Il était lui aussi très apprécié, parce qu’il comportait un poudrier, un miroir, une case porte timbre-poste, une pince à billets (doux peut-être), et bien sûr un porte-louis.
Le choix des hommes portait davantage sur les modèles à deux logements de diamètres différents, destinés à accueillir les louis de 10 et de 20 francs. Ils les voulaient sobres et élégants, unis ou décorés de scènes de chasse, d’élevage, de moissons, de jeunes femmes dans le style très particulier de l’Art nouveau, ou plus classiques et géométriques, dans le style Arts déco . D’autres encore étaient gravés au nom ou aux initiales du propriétaire. On rencontrera encore des boîtiers métalliques de formes rondes carrées ou triangulaires, en poire en rognon ou en cœur, réalisés dans des métaux enrichis de laque, de vermeil, damasquinés ou niellés, comptant trois et même quatre distributeurs, on rencontrera quelquefois la signature du graveur Dropsy
Quelques modèles, essentiellement anglais, » sovereign holder » serviront aussi de boite à timbres, sifflet à fiacre, ou pyrogène, avec un logement pour les allumettes ou un petit crayon. Les dandies le dissimukeront dans le pommeau de leur canne…Cette mode aura largement dépassé nos frontières, dans les années vingt, les Etats-Unis fabriqueront des étuis similaires, baptisés « coin-holder » ou « Vanity » pour les modèles de sac. La Russie possédait ses propres porte-roubles, l’Allemagne ses porte-marks, et l’Angleterre ses porte-souverains.
Le porte-louis aura vécu depuis les années 1850 jusqu’à l’aube de la guerre de 14, lorsqu’on demandera aux Français de ramener leur or dans les caisses de l’état. Ces petits objets rappellent avec bonheur la belle époque, riche en créativité, en talents et en souvenirs.
C’est probablement cette énorme variété de modèles, qui donne tout son charme à cette collection. Plus charmants et esthétiques les uns que les autres, ils sont le reflet d’une époque dans laquelle il faisait bon vivre, et ou l’on savait apprécier la valeur des beaux objets.
Sources: R. Tropet (ami collectionneur de Laval) – P. Masson
Le Club des Collectionneurs de Bergerac compte plusieurs amateurs de porte-louis, aussi : Toutes informations sur vos propres collections, photos et documents seront les bienvenus.