…à la croisée des chemins de guerre et des chemins de pèlerinage, le Périgord a toujours su séduire ses visiteurs, et cela depuis les plus antiques brassages de populations. Cette superbe monnaies d’or a été retrouvée, enfouie dans des chemins de terre des rives de la Dordogne.
Peut-on supposer lorsqu’on n’est pas numismate, que de nombreuses monnaies sont originaires de notre département ? .Et l’éventail historique est large : cela va des monnaies gauloises à l’émission de billets en ECU (permettez moi ce clin d’œil) en 1995. Bon, c’est vrai, cette émission de billets n’était surtout pas officielle, mais quel succès obtenu par Les Collectionneurs Bergeracois avec ces billets de fantaisie qui avaient pour but de promouvoir la future monnaie européenne.
Reprenons cette longue histoire chronologiquement. Les premières monnaies sont apparues dans le nord de la Grèce, en Mésopotamie, (actuellement province turque); plus précisément en Lydie, environ 850 ans avant J.C. Très vite ce système de paiement a avantageusement remplacé le troc pour les échanges dans toute la Grèce. Il aura fallu attendre plusieurs siècles pour que la Rome antique adopte un système monétaire identique, vraisemblablement à la fin du IVe siècle av. J.C. et cela, dans le but de payer les mercenaires venus participer à la première guerre punique.
C’est à peu près en même temps que les premiers monnayages gaulois sont apparus. Ce n’étaient que des copies des statères en or de Philippe II de Macédoine qui avaient été ramenées par des mercenaires, mais aussi, rencontrées et utilisées dans les citées grecques du sud de la Gaule.
Les premières copies ressemblaient énormément au modèle par le métal (or pratiquement pur), par le module, par les représentations qui y figuraient. Dans un premier temps, le poids était identique, puis le poids de chaque pièce a ensuite diminué ce qui permet de les situer chronologiquement. Cependant, le troc restait l’usage courant, et ne servait que pour des transactions commerciales éloignées, l’usage de la monnaie était rare, De plus, de telles pièces en or ne pouvaient servir que pour des opérations importantes. Nos ancêtres utilisaient le minerai qu’ils trouvaient à l’état naturel (électrum : alliage naturel d’or et d’argent) dans un premier temps, puis dans l’exploitation des mines comme celles qui se trouvent dans le nord de notre région, à Jumilhac-le-Grand. Les gaulois étaient d’excellents métallurgistes. Après avoir copié les monnaies venues de Grèce, ils ont adopté progressivement leurs propres représentations. La tête d’Apollon a été stylisée au point que l’on ne remarque parfois que les mèches de cheveux. Le bige (attelage de 2 chevaux) est remplacé par l’animal symbole de la région ou de la tribu. Pour nos ancêtres les Pétrocores, c’est le sanglier qui est sera adopté. Ce type se transformera, sera stylisé, pour devenir un animal fantastique avec de grandes pattes aux articulations boulotées. A l’avers on peut voir une tête à gauche, au long nez, et aux deux lèvres, terminés.
Les monnaies évolueront vers un type plus petit avec à l’avers une tête et au revers encore un animal, tête de cochon ou de sanglier sur un corps humain. Ce corps est toujours entouré de signes dont on ignore la symbolique. Sur une monnaie, les seins sont représentés !
Vers le IIe siècle av. J.C. de nouvelles influences pénètrent la Gaule par le sud. Elles viennent de RODA et AMPORIAS (colonie grecque au nord de Barcelone) et remplacent progressivement l’influence Arverne qui dominait le pays. Un nouveau type apparaît, celui des monnaies à la croix très répandues en région toulousaine et appelées Volques tectosages. Deux trésors prouvent la fabrication et l’utilisation de ces monnaies en pays Pétrocore : le trésor de Belvès découvert en 1915 et celui de St Etienne des Landes (canton de Belvès) en octobre 1899.
Les monnaies du type de Belvès, en argent, sont frappées sur des flans arrondis, donc préparés à l’avance. Elles représentent à l’avers une tête de profil avec un œil de face et au revers une croix dessinant quatre cantons dans lesquels sont représentés une ou deux haches avec des motifs divers.
Les monnaies trouvées dans le trésor de St-Etienne-des-Landes (1500 pièces avec une hache en fer), pour celles attribuées aux pétrocores sont de style flamboyant, avec une chevelure faite de mèches flammées, largement ondées. A la différence de celles du type de Belvès, les monnaies sont frappées sur une plaque d’argent laminé et sont ensuite découpées à la cisaille ce qui leur donne une forme carrée ou rectangulaire. Dautres exemplaires de ces monnaies ont également été trouvées sur le site d’Ecorneboeuf qui était l’oppidum des pétrocores. Les nombreuses fouilles ont révélé des monnaies de provenance variées ce qui a fait penser aux érudits du XIXe siècle que les monnaies à l’aigle typiquement carnutes (région de Chartres) étaient pétrocores. Toutefois ce constat permet d’affirmer que les échanges commerciaux étaient nombreux et distants.
A signaler également les monnaies CONTOUTOS dont la tribu se situait principalement entre la Dordogne et son affluent, le Dropt. Sur cette monnaie, a l’avers, entourés de points une tête à droite avec la légende » contoutos « . Au revers, dans un cercle de points, un loup avec les pattes de devant au-dessus d’une tête de bovin.
L’invasion romaine a donné l’arrêt à la fabrication des monnaies gauloises. Toutefois le Vicomte de Gourgues, repris par l’Abbé Audierne citent des pièces pétrocores qu’ils ont dessinées mais dont on ne trouve aucune trace à ce jour. Je citerai uniquement celle qui aurait été frappée lors de l’envoi de 5 000 hommes pour secourir Vercingétorix. Mr DENIN, conservateur au Cabinet des Médailles, que j’ai rencontré récemment, ne croit pas que cette monnaie ait pu exister. Par contre, il m’a montré de petites monnaies attribuées aux Pétrocores que je n’avais encore jamais vues. Je vous en donnerai le détail ultérieurement.
Malgré les grands progrès faits par la numismatique pendant la deuxième moitié du XXe siècle, on n’a pas encore la preuve qu’aucune monnaie n’ait été frappée sous la domination romaine.
Pendant l’époque mérovingienne, des » TRIENS » (tiers de sou romain) en or, ont été frappés à CAMELIACO (Jumilhac) et certainement dans d’autres villes aussi. Mais, avec le temps, ce type de monnaies s’est déprécié. L’aloi (proportion de métal précieux) est de plus en plus faible. Ce n’est que Charlemagne qui remettra de l’ordre dans les affaires monétaires. Sa mort entraîna un inexorable morcellement du territoire français. Charles le Chauve nommera Walgrin comte d’Angoulême et du Périgord qui utilisera deux monnaies presque identiques (quatre annelets au revers pour l’Angoumois et cinq pour le Périgord entourés de la légende » EGOLISSIME « ). Sur l’avers figure la crois pattée entourée de la légende » LODOICUS « . Des comtes furent nommés pour le seul Périgord et la première monnaie fut certainement frappée par Hélie II de 1006 à 1031. Les comtes se succédèrent et quand Hélie VII de Talleyrand (1295-1311), se basant sur le fait que ses ancêtres avaient le droit de battre monnaie, émis un denier ne correspondant pas au type habituel qui avait été réglé par Louis le débonnaire lors de la nomination du premier comte de l’Angoumois et du Périgord, il s’attira les foudres de l’évêque Géraud de Gourdon. L’avers comportait toujours une croix mais avec la légende » ELIAS COMES « , c’est-à-dire » Elie comte « . Le revers avait remplacé les cinq annelets par deux croisettes et deux » S » entourés de la légende » PETRUCORIS « . De plus, cette monnaie était de mauvais aloi. Un nouvel accord permit de retrouver le type d’origine. Plus tard, les monnaies médiévales seront frappées au Puy-Saint-Front, quartier de St front à Périgueux, (mais aussi, semble-t-il, au château de Sale-au-Comte). D’après l’Abbé PECOUT, il s’agirait d’un bâtiment qui était situé sur l’actuelle place du Coderc et qui fut démoli à la fin du 18e siècle.
Le second atelier était Domme, place achetée en 1280 par Philippe le Hardi pour que ses gens de guerre aient un lieu de retraite sur la Dordogne. Le bâtiment existe encore, il se situe sur la gauche dès qu’on a franchi le porche de pierre de l’entrée de la vieille ville. Parmi les motifs énoncés lors de la confiscation du comté du Périgord à Archambaud VI (1396), on lit que ce dernier avait assiégé le mont de Dôme et pillé l’argent qui appartenait au roi. Il en profita pour faire de la » fausse monnaie « . Lorsque la ville fut reprise aux anglais en 1348, le roi promit d’y faire fabriquer des monnaies d’or et d’argent, ce qui ne se produisit vraisemblablement jamais.
Le 1er juin 1347, tandis que Henri III, roi d’Angleterre, assiégeait Calais, il accorda à Henry de Lancaster, comte de Derby, eu égard de ses prises victorieuses en Aquitaine, le château, la ville et tout le comté de Bergerac alors appelé BRAGAIRAC, avec le privilège de battre monnaie et d’en user de tous les avantages, à condition que cette monnaie soit par les noms et aloi, aussi forte que la monnaie royale. Au total ce seront 14 types différents qui seront émis en l’atelier monétaire de Bergerac pendant cette période qui dura de 1347 à 1361.
Voir l’article sur l’atelier monétaire de Bergerac
Après cette période tumultueuse de l’histoire de France, Louis XI remit de l’ordre dans le système monétaire et, dominant tous le pays, imposa les monnaies royales sur tout le territoire. Il faudra attendre un autre tumulte, celui de la Révolution, pour voir des monnaies émises en Périgord comme ailleurs, par des autorités locales.
Par décret du 2 novembre 1789 les biens du clergé, évalués à deux milliards, sont mis à la disposition de la nation, et l’Assemblée Nationale ordonne la création de 400 millions de billets au porteur donnant un intérêt de 5% et dès lors appelés ASSIGNATS. Ce premier papier monnaie ne comportait que des billets de 500 et 1 000 livres. Un peu plus tard, le décret du 16-17 avril 1790 créait des coupures de 60 livres. A partir du 1er janvier 1791, en même temps que le cours des assignats devenait forcé, le numéraire se fit encore plus rare et les opérations commerciales étaient de plus en plus difficiles. Par un décret du 6-13 mai 1791, l’Assemblée Nationale ordonne la fabrication de 100 millions d’assignats de 5 livres en remplacement d’une somme équivalente en assignats de 2 000 livres qui devaient être supprimés et l’ouverture dans chaque district de bureaux où il serait possible d’échanger ces assignats de 5 livres contre de la monnaie de cuivre et réciproquement puisque le » peuple » préférait le métal au papier.
Les lenteurs administratives firent que ces petits assignats arrivèrent très lentement en Dordogne et l’initiative privée vint en aide, en créant en plusieurs endroits des comptoirs municipaux, aux particuliers, qui à leur tour, émirent des petits billets portant le nom de » billets de confiance « . La première émission de Dordogne remonte à juin 1791 sur une idée de la société des amis de la Constitution de Bergerac qui créa une Caisse patriotique pour faciliter l’échange des assignats de 500 livres contre des bons de 12, 6 et 3 livres. La première émission de Bergerac fut de 60 000 livres. Le succès fut immédiat et très vite d’autres Caisses se créèrent dans tout le département devant la pression des petits commerçants, comme les boulangers, qui ne voulaient plus donner de pain contre du papier de trop grande valeur sur lequel ils ne pouvaient pas rendre la monnaie.
Certaines communes créeront ces Caisses sans aucune autorisation, nécessité faisant loi. L’excès est tel que, au mois d’août 1792, les administrateurs du Directoire apprennent que certains citoyens de Carlux se sont permis de faire circuler, sous le nom de cette municipalité, des bons revêtus d’une seule signature et de les vendre publiquement à gros bénéfices. Ils envoient des commissaires spéciaux vérifier l’état de plusieurs » caisses patriotiques « , ils ordonnent de surveiller particulièrement certains imprimeurs et exigent la présentation de dépôts de garantie, ce que certaines caisses ont refusé de faire. Ainsi une multitude de petits billets de valeurs, de formes et de couleurs différents circulent en toutes régions. Et malgré toutes les précautions, il vint un moment où les billets de confiance, bien qu’ayant été très utiles, cessèrent d’avoir la valeur dont ils avaient tout d’abord bénéficié.
La liste publiée par Achille Colson vers 1850 fait apparaître que 68 Caisses patriotiques ont émis des billets de confiance, pour plusieurs valeurs, dans notre département. Toutefois, la liquidation de ces billets jusqu’en 1796 n’a apporté qu’une grande défiance des français envers le papier-monnaie. Tous ces désordres monétaires disparurent rapidement avec l’émission par Louis-Napoléon Bonaparte de pièces en or et en argent.
Au début du 20e siècle, la troisième République créa des pièces de 50 centimes, 1 franc et 2 francs comportant la semeuse gravée par Louis Oscar ROTY (voir notre article), comme sur les pièces que nous utilisions en l’an 2000, mais elles étaient en argent.
Dès le début de la guerre, en 1914, les français, craignant pour leur avenir, mirent dans les bas de laine toutes ces pièces en métal précieux. La conséquence fut immédiate et le manque de numéraire de faible valeur gêna très rapidement le petit commerce.
Les Chambres de Commerce sollicitées voulurent réagir comme celle de Bergerac. Extrait de délibération de sa séance du 18 août 1914, adopté à l’unanimité: » La Chambre de Commerce de Bergerac sollicitera du gouvernement l’autorisation d’émettre, sous sa responsabilité, des coupures au porteur d’une valeur de 2 francs, 1 franc et 0 franc 50 centimes, pour une valeur de 500 000 francs « .
Il y eut en fait cinq émissions successives :
-La première le 5 octobre 1914 pour un montant de 750 000 francs.
-La deuxième le 15 juin 1917 pour 500 000 francs.
-La troisième le 5 août 1918 pour 500 000 francs.
-La quatrième le 12 juillet 1920 pour 500 000 francs.
-La dernière le 10 septembre 1921 pour 500 000 francs.
Pour notre département, la Chambre de Commerce de Périgueux a également émis de ces billets, dits de » nécessité « . Il y a eu 6 émissions différentes: le 15 août 1914, le 10 juin 1915, le 1er septembre 1915, le 24 juin 1916, le 5 novembre 1917 et le 30 juin 1920. Chaque émissions comprenait des billets de 50 centimes, de 1 franc et de 2 francs sauf celle du 30 juin 1920 pour laquelle il n’y avait pas de billet de 2 francs. Cette Chambre de commerce a également émis deux pièces en aluminium, de 5 et 10 centimes, toujours dans le but de faciliter le commerce. Au revers figurait le monument phare de la ville de Périgueux : la cathédrale Saint Front.
Toujours selon le principe que nécessité fait loi, de nombreux organismes émirent des » bons de monnaie » en métal, comme l’union des commerçants de la ville de Thiviers mais nombreuses furent les émissions de bons en carton faites par des organismes divers: Des municipalités comme Issigeac (1, 5 et 25 centimes) et Eymet (5, 10 et 25 centimes). Des Unions commerciales comme Belvès et Monpazier (5, 10 et 25 centimes) Des commerçants particuliers comme Paul Bouton ou Vacher et les sœurs Martineau de La Roche Chalais. La charcuterie Bonnet à Périgueux, épicerie Royulet de Périgueux ou encore l’épicerie Raynaud à Monpazier.
Il faut citer également la Société Coopérative Militaire de Périgueux qui a émis 5 petits billets pour les valeurs de 0,05 ; 0,10 ; 0,25 ; 0,50 centimes et 1 franc.
A noter également, la Société Métallurgique du Périgord à Fumel (Lot et Garonne) qui a émis, à la fois, 2 pièces en fer pour 10 et 25 centimes et 3 billets pour 0,50 centimes, 1 franc et 2 francs.
Il faut en conclure que si la monnaie a été créée pour faciliter les échanges, l’homme a toujours su être assez ingénieux pour mettre en place des systèmes de substitution, lorsqu’elle a fait défaut.
Les recherches sur les monnaies du Périgord ne sont pas terminées et je serais ravi de la collaboration et de la critique de tous les collectionneurs qui auraient la possibilité de nous transmettre des informations complémentaires ou de nous faire connaitre des documents rares ou inédits sur le sujet. Leur contribution, sera la bienvenue, et enrichir un travail qui restera toujours inachevé.