Quel plaisir de se retremper de temps en temps dans l’atmosphère un peu glauque et enfumée des bons « polars » d’après guerre. Bien secondée par une abondante filmographie, l’ambiance un peu canaille a bien franchi le temps, et c’est toujours avec intérêt qu’on peut revoir un de ces films en noir et blanc, dans lequel le détective aligne les whiskies derrière les cigarettes. La tenancière du bistrot, un peu maquerelle, s’exprime dans un langage argotique haut en couleur, et le malfrat en costume trois pièces, joue du browning à tour de bras. Ne parlons pas du flic, ou du détective privé, qui lui, allie le tout, il fume, il boit, il casse et il tue.
Ces truands d’après guerre issus tout droit de la prohibition américaine, élevés à l’école de la contrebande d’alcool et de cigarettes, bien souvent arrivés des milieux mafieux corses et italiens, nous les avons connus grâce à la littérature policière.
En 1945, Marcel DUHAMEL, éditeur, rentrait des Etats Unis, enthousiasmé par la lecture de feuilletons parus dans les quotidiens new-yorkais. Il lançait alors une nouvelle collection: La Série Noire. Grâce à quelques titres restés célèbres le succès fut immédiat. Le premier titre imprimé: « La môme vert de gris » de Peter Cheney, était suivi par « Pas d’orchidées pour Miss Blandish » de James Hadley Chase, « La dame du Lac de Chandler », « Les femmes s’en balancent » encore Peter Cheney, etc…
Pratiquement tous les champions de la littérature policière américaine furent édités, et presque exclusivement des américains, au moins pour les premières années, et pour la première version de cette édition dont la couverture cartonnée, moitié jaune moitié noire est restée célèbre. Les premiers Français à inscrire leurs noms au générique, ont fait carrière: Louis Malley, Auguste Lebreton, et A.L. Dominique (de son vrai nom André Ponchardier, ambassadeur de France en Bolivie) , avec son célèbre Gorille, adapté plus ou moins heureusement à toutes les sauces.
Pour les collectionneurs, sachez que les huit premiers titres ont été tirés dans une première édition brochée (couverture souple), ils sont désormais pratiquement introuvables. Un marchand parisien bouquiniste sur les quais de Seine me demandait 250 € pour le n°4 de la collection: « Un linceul n’a pas de poche » ! Heureusement tous les titres ont été réédités sous cette fameuse couverture cartonnée, qui habillera les 413 premiers volumes de la collection, et qui sera abandonnée au profit d’une reliure brochée laquée et souple, noire bordée de blanc, à partir de 1958. Maurice Duhamel est mort depuis longtemps, mais les éditions Gallimard exploitent toujours le filon, à ce jour, plus de 2600 titres sont en collection.
Un seul volume, le n° 5 « Neiges d’antan » de Don Tracy n’a jamais été réédité, il est donc l’unique exemplaire qui n’existe pas dans la version cartonnée.Hormis cet exemplaire, les 413 premiers volumes sont fréquemment collectionnés. Beaucoup se trouvent encore facilement. Il faut envisager un prix d’achat de 2 à 12 € selon l’état et surtout selon l’auteur. Si le livre a conservé sa jaquette souple en bon état, il subira une plus value d’environ 50%.
Conservez en tête les noms des auteurs les plus demandés: Raymond Chandler, En 1945, Marcel Duhamel à créé en parallèle, la collection de la Série Blême, qui compte 24 titres, toujours de romans policiers, avec des titres prestigieux, et difficiles à se procurer.
En 1948, Marcel Duhamel écrit ce qui restera longtemps « le manifeste de la « Série noire ». Après plus de cinquante ans, ce texte reste d’une rare actualité.
« Que le lecteur non prévenu se méfie : les volumes de la « Série noire » ne peuvent pas sans danger être mis entre toutes les mains. L’amateur d’énigmes à la Sherlock Holmes n’y trouvera pas souvent son compte.
L’optimiste systématique non plus. L’immoralité admise en général dans ce genre d’ouvrages uniquement pour servir de repoussoir à la moralité conventionnelle, y est chez elle tout autant que les beaux sentiments, voire de l’amoralité tout court. L’esprit en est rarement conformiste. On y voit des policiers plus corrompus que les malfaiteurs qu’ils poursuivent.
Le détective sympathique ne résout pas toujours le mystère. Parfois il n’y a pas de mystère. Et quelquefois même, pas de détective du tout. Mais alors ?… Alors il reste de l’action, de l’angoisse, de la violence — sous toutes ses formes et particulièrement les plus honnies — du tabassage et du massacre. Comme dans les bons films, les états d’âmes se traduisent par des gestes, et les lecteurs friands de littérature introspective devront se livrer à la gymnastique inverse. Il y a aussi de l’amour — préférablement bestial — de la passion désordonnée, de la haine sans merci. Bref, notre but est fort simple : vous empêcher de dormir. »
Les passionnés par le sujet pourront se procurer le livre de Claude MESPLEDE: « Les Auteurs de la Série Noire » Editions Joseph K, à Nantes. Référence ISBN 2 910 686 11 6.